Pêche scientifique
La pêche scientifique est une pêche qui, en opposition avec la pêche commerciale, n’a pas pour but la vente ou la consommation des prises. Il en existe de différentes sortes et les objectifs sont multiples. Je mets à part, bien entendu, la pseudo-pêche scientifique pratiquée par les Japonais d’une façon innommable sur les baleines en voie de disparition qui n’a d’autre but que leur consommation. Il s’agit ici d’un travail purement scientifique qui ne présente aucun danger pour l’environnement, au contraire.
Des naturalistes, espèce également en voie de disparition, sont venus à DDU durant cette campagne d’été pour investiguer sur les fonds de faible profondeur atteignables depuis la base. L’objectif donc, étant de recenser les espèces présentes et d’identifier éventuellement de nouvelles espèces. D’une façon générale, ce programme est relativement nouveau puisqu’il a été débuté sous cette forme par la France il y a trois ans seulement sachant que d’autres équipes de chercheurs tout autour de l’Antarctique ne sont guère plus en avance. Autant dire qu’il y a beaucoup à découvrir : quelles espèces, en quelle quantité, à quelle profondeur, en association avec quelles autres espèces ext…etc...
"Sea-truck"
Je suis invité par l’équipe en cette mi-février à aller relever un filet trémaille de 60 m de long posé la veille. Nous allons embarquer sur le « sea-truck », le bien nommé camion de la mer qui a été mis à l’eau quelques jours auparavant alors que la débâcle de la banquise permet maintenant d’opérer en eau libre. Il s’agit d’un bateau à fond plat comme en utilisent les ostréiculteurs, parfaitement adapté aux opérations qui lui incombent. Il est également équipé d’un petit treuil à chalut sur bâbord que nous n’utiliserons pas aujourd’hui. Le temps est au beau fixe, c’est la météo qui l'a prévu !




Le retour a lieu, toujours sous le soleil; je suis ravi de cette sortie en mer qui me permet de voir la base de Dumont d’Urville sous un jour nouveau, et puis c’est mon premier tour en bateau depuis maintenant un mois et demi depuis que nous avons débarqué de l’Astrolabe et alors que la banquise était encore présente dans toute cette zone. Il n’y en aura pas beaucoup d’autres avant que cette dernière reprenne ses quartiers habituels, dans quelques semaines, alors que notre bon vieux sea-truck sera remisé pour les longs mois de l’hiver austral.
Se termine ainsi ce qui n’était qu’une ballade pour moi, alors que le travail commence véritablement pour nos naturalistes pêcheurs. Nous débarquons le filet et toutes nos prises directement sur le bout de banquise qui nous reste et transportons le tout dans un laboratoire tout proche nommé « la criée », qui est, à l’instar de beaucoup d’autres bâtiments ici, un simple conteneur aménagé, et chauffé à environ 10 degrés. Là, un tri méticuleux va être réalisé ainsi qu’un comptage et, clou du spectacle, peut-être la découverte à la clé d’une espèce nouvelle ! Ce travail prend souvent tellement de temps qu’il déborde largement sur la nuit, il n’est pas rare en effet que nos trieurs rentrent à 3 ou 4 heures du matin.
Je n’attendrai pas cette échéance. A priori, pas d’espèce nouvelle aujourd’hui, mais des animaux bien curieux comme cette crevette dont je ne vous dirai pas le nom qui comporte bien des « us » puisqu’elle est déjà au moins antarcticus.
D’ailleurs, rien n’est moins sûr que ce verdict temporaire. En effet, ces espèces sont pour la plupart nouvelles ou très peu connues, d’où le travail d’aujourd’hui. Assez souvent en cas de doute, il n’y a qu’un seul spécialiste mondial auquel il faut envoyer l’individu en question et qui peut trancher. Autant dire que la réponse n’est pas pour la semaine prochaine ! D’autant plus que ce travail de classement est souvent collégial, car certaines espèces peuvent changer de famille voire même d’ordre en fonction de telle ou telle découverte d’une nouvelle caractéristique et qu’un nouveau classement doit être décidé de façon concertée par les spécialistes du domaine. Cela peut paraître curieux de prime abord, mais si il vous est facile de distinguer un lion d’un tigre par exemple, je vous mets au défi de décréter que certains individus ici sont des animaux ou des plantes, alors la famille, on n’en parle même pas! Très souvent, on doit considérer des caractéristiques intimes qui proviennent des travaux effectués en biologie moléculaire. Il n’est pas rare que l’on découvre par ce biais que des espèces qui semblent voisines, sont en effet très éloignées, et inversement. Certaines analyses peuvent se faire sur place à DDU mais généralement, elles sont réalisées par les laboratoires de métropole qui disposent de moyens bien plus sophistiqués.
La zone explorée aujourd’hui n’était pas très riche. Mais cela aussi est un résultat intéressant en soi. La zone pêchée était en effet par environ 100m de fond, une zone potentiellement raclée par … les icebergs. Ceux-ci peuvent en effet tout détruire sur leur passage dans leur déplacement quand ils touchent le fond. C’est d’ailleurs ainsi que l’on découvre le plus d’espèces à partir d’une profondeur d’environ 400m en zone Antarctique, car c’est la profondeur moyenne maximale qu’atteignent ces monstres que sont ces superbes icebergs. Une caméra peut-être embarquée sur le chalut, elle permet d’apprécier l’état de la zone et, partant de là, d’étudier d’une année sur l’autre, la reprise de possession du milieu par les espèces vivantes et la vitesse avec laquelle elles le font ainsi que l’ordre de leur apparition dans le temps. Ces explorations et pêches au large sont effectuées par l’Astrolabe lors d’une campagne océanographique réalisée chaque année, et qui a dû être grandement écourtée cette année en raison du retard dans les rotations, comme vous le savez déjà si vous avez bien suivi depuis le début.
Bon, il est une heure et demi du matin, on pourrait continuer à discourir comme cela toute la nuit de toutes ces choses passionnantes, mais demain, que dis-je, tout à l’heure, j’ai d’autres aventures qui m’attendent, alors bonne nuit.