L'appel du continent blanc ou les raisons d'un départ.

   Lorsque j'annonce dans mon entourage ma volonté de partir sur cette terre désolée et de m'isoler avec quelques poignées de compagnons dans les glaces durant une année entière, les réactions sont de deux sortes. Pour quelque uns, l'affaire est simple, le voyage doit être passionnant, et si ils avaient pu le faire, ils l'auraient fait, pour sur! Pour la plupart, l'incompréhension domine, et à ceux là, il est difficile d'expliquer en quelques mots ce genre de motivation, d'abord parce qu'elle est multiforme. C'est donc donc ce que je vais essayer de faire dans les lignes qui suivent.
  
  La première raison est historique, je veux parler de ma propre histoire, et remonte au temps de ma jeunesse ou je passais les concours des grandes écoles. Alors que je passais l'oral du concours d'ingénieur de la météorologie qui se tenait alors dans les locaux de la Météorologie nationale à Paris, un élève de troisième année était venu nous faire de la publicité sur son école et son métier, à nous ses potentiels futurs collègues. Il avait entre autres évoqué, au delà de l'aspect scientifique marqué de ce genre de carrière, la diversité géographique considérable, à l'époque surtout, des postes offerts, puisque la météorologie Nationale Française était présente dans de nombreux endroits du globe sous toutes les latitudes. Il nous avait rapidement décrit quelques un d'entre-eux et notamment ces possibilités de faire de la météorologie dans des endroits plus ou moins fortement exotiques. Ayant eu la "chance" d'être reçu à un certain nombre de ces grandes écoles, est venue l'heure du choix. Toujours difficile à moins d'en avoir déjà une dans le collimateur, chacun a sa méthode. Les uns choisissaient le domaine ou le prestige, les autres la situation de l'école, y a-t-il une piscine, un tennis, ou encore le salaire de début, que sais-je encore? Moi, je me suis remémoré ces noms porteurs de rêve, Polynésie, Antarctique, jungle Guyanaise et bien d'autres encore , et c'est ainsi que j'ai choisi cette école atypique et que je suis devenu météorologiste.  Il m'a fallu bien des années pour concrétiser ce rêve de jeunesse comme je le raconte dans mon blog concernant mon séjour dans les îles  Kerguelen.

  Il y a aussi des raisons plus profondes, qui trouvent leur racine encore plus loin dans le temps, dans cette enfance qui nous formate pour la vie. Né d'abord dans le Pacifique a une époque où le mot antipode avait une toute autre signification qu'aujourd'hui en terme de distance, j'ai vécu le reste de ma jeunesse en Afrique noire ou au début tout au moins, l'aventure était quotidienne selon les concepts actuels. Cette brousse Africaine m'a fasciné, envoûté sans que je le saches à ce moment là, mais les bruits, les odeurs, et les sensations sont gravées à tout jamais dans ma mémoire. Alors après cela, il faut faire "maths sup" et s'asseoir bien gentiment pendant des années dans un bureau douillet face à un ordinateur. On le fait bien sur, mais on ne peut s'empêcher de se remémorer qu'il y a autre chose et alors on entend au plus profond de soi-même un appel.

  Cet appel, il est bien connu de certains, c'est celui des grands espaces. Après la savane Africaine de mon enfance, l'immensité de l'océan que j'ai côtoyé à de nombreuses reprises et notamment sur un navire météorologique stationnaire, celui de l'espace  aérien où m'a amené ma passion pour l'aviation, j'ai ressenti le désir irrépressible de découvrir ce grand continent blanc qu'est l'Antarctique, le continent des extrêmes.

  A moins qu'il s'agisse d'autre chose encore. Laissons la parole à l'un de nos célèbres aventuriers du grand sud, Jean Baptiste Charcot dans« le Français au Pôle Sud » :

"D'où vient cette étrange attirance de ces régions polaires, si puissante, si tenace, qu'après en être revenu on oublie les fatigues, morales et physiques pour ne songer qu'à retourner vers elle? D'où vient le charme inouï de ces contrées pourtant désertes et terrifiantes? Est-ce le plaisir de l'inconnu, la griserie de la lutte et de l'effort pour y parvenir et y vivre, l'orgueil de tenter et de faire ce que d'autres ne font pas, la douceur d'être loin des petitesses et des mesquineries? Un peu de tout cela, mais autre chose aussi. J'ai pensé pendant longtemps que j'éprouverais plus vivement, dans cette désolation et cette mort, la volupté de ma propre vie. Mais je sens aujourd'hui que ces régions nous frappent, en quelque sorte, d'une religieuse empreinte. Sous les latitudes tempérées ou équatoriales, la nature a fourni son effort; dans un grouillement de vie animale et végétale, intense, inlassable, tout naît, croit et se multiplie, agit et meurt pour s'entraider à la reproduction pour assurer la perpétuité de la vie. Ici, c'est le sanctuaire des sanctuaires, où la nature se révèle en sa formidable puissance comme la divinité Égyptienne s'abrite dans l'ombre et le silence du temple, à l'écart de tout, loin de la vie que cependant elle crée et régit. L'homme qui a pu pénétrer dans ce lieu sent son âme qui s'élève."