Le Voyage

Le Voyage, seconde partie


La vie à bord s’organise, rythmée par une routine qui s’installe. Certains sont nauséeux malgré le beau temps et passent une grande partie du temps à dormir. Les cabines sont relativement agréables malgré leur petitesse et la promiscuité nous gêne peu, car chaque lit est abrité derrière son rideau de courtoisie.



On a ainsi l’impression d’être chez soi. Les repas sont organisés en deux services successifs, le premier de 11h à midi, le second de midi à 13h pour le déjeuner et 18h à 19h puis 19 à 20 h pour le dîner. Il y a deux carrés (salles à manger) comprenant chacun trois tables, c’est assez intime. Nous sommes servis par Oleksandr, qui est Ukrainien, mais que tout le monde appelle Sacha par facilité, comme les deux autres Ukrainien d’ailleurs. L’équipage a un état-major français, mais tout le reste de l’équipage est majoritairement Indonésien comme sur beaucoup de navires actuellement, car ce sont les moins chers à compétence égale ! La langue Anglaise est de rigueur.



Depuis le début du voyage, il m’arrive souvent d’aller jouer de mes instruments de musique sur le pont. J’ai amené bien sûr mes harmonicas, mais aussi une bombarde bretonne qui fait grand bruit. Tout le monde à bord finit donc par être au courant, et c’est ainsi que l’un des chercheurs en glaciologie me suggère de jouer avec lui qui possède un accordéon. Nous cherchons dans la foulée un guitariste et voilà notre petit orchestre constitué. Nous avons besoin de moultes répétition, surtout moi qui n’ai que très peu joué en groupe, mais le résultat m’enchante. Petit problème, le froid qui sévit dehors depuis que nous sommes dans les glaces, nous contraint à jouer à l’intérieur, dans la seule salle qui peut nous accueillir, la salle « informatique ». La plupart de nos compagnons sont ravis mais le volume sonore de la bombarde en gêne quelques-uns et nous devons limiter nos répétitions au minimum. Ce d’autant plus, que dans un bateau, il y a toujours quelqu’un qui dort puisque l’équipage est aux trois huits.


Parfois, un énorme choc secoue le bateau, nous filons alors nombreux à la passerelle pour voir ce qui se passe. C’est le moment de voir de beaux icebergs défiler lentement le long de la coque et de se renseigner sur notre position et sur les pronostics d’arrivée. Le commandant est peu disert, on sent l’homme d’expérience qui ne lâchera une information que s’il est quasiment sûr de lui. Or rien n’est sûr dans ces eaux. On peut passer des heures à tourner en rond pour trouver une rivière, cheminement dans les glaces, c’est ainsi que le bateau a été pris dans les glaces à R0, il y a quelques semaines. Puis subitement en début de journée de mercredi 21, nous arrivons dans une large polynie, zone d’eau libre ou presque. L’espoir renaît pour ceux qui trouvent le temps long. Le connaisseur en matière de navigation s’aperçoit vite que le cap n’est pas le bon, plein ouest ; la route choisie devrait permettre d’éviter un énorme bout de banquise. L’option est bonne puisque le soir, après avoir contourné l’obstacle et repris le cap plein sud, nous arrivons tout près de la base. Mais, las, nous nous heurtons à environ 7,5 km de DDU à de la banquise encore bien solide malgré la saison bien avancée. Toute la nuit, le bateau va essayer de casser cette banquise, sans succès : décision est prise de transporter les passagers en hélicoptère le jeudi 22.


Le matin du jeudi, la noria commence, je suis dans le cinquième vol, en place avant, et le moment est féérique commençant par un survol de la banquise puis l’arrivée sur la base qui est un moment particulier puisque tout le monde est là sur la dz (drop zone) pour nous accueillir.

La vie sur cette base perdue dans l’immensité du blanc immaculé commence à cet instant …pour 13 mois.