R2 ou la visite de Michel Rocard

R2 ou la visite de Michel Rocard


R2 pour rotation 2; c’est donc pour nous le premier retour de l’Astrolabe sur DDU en ce 14 janvier. C’est un moment très attendu à bien des égards. C’est d’abord la livraison du fret de toutes sortes : le ravitaillement des hommes, les carburants, les matériels des laboratoires. Les carburants, il y en a de toutes les couleurs, fuel pour les véhicules et la centrale, kerozène pour l’hélicoptère, essence pour d’autres véhicules, huiles de toutes sortes et j’en passe. Nous, météorologistes, nous attendons notre hélium entre autre qui nous sert à gonfler nos ballons. Il faut également livrer le fret et surtout le fuel pour notre station Franco-Italienne de Concordia qui se trouve au cœur du continent dont la logistique a été confiée à la France et qui est donc réalisée via Dumont d’Urville. Cette livraison, fait unique en Antarctique, se fait par voie terrestre par un convoi de véhicules que l’on nomme « le raid », et qui achemine plusieurs centaines de tonnes de fret sur quelques 1200 km à travers le continent blanc. Je reviendrai sur cet évènement qui va se produire bientôt au cœur de l’été austral. Cette livraison sur DDU est très en retard cette année en raison de l’échec de R0 qui a retardé notre arrivée, puis de R1, alors que nous avions été bloqués par la banquise à 7 km de la base. Or il faut pour délivrer ces lourdes charges pouvoir accoster le long de l’ex piste d’aviation que l’on nomme le Lion ou se trouve les engins de levage et de transport.

C’est aussi l’arrivée de nouveaux campagnards d’été, et avec eux, Mr Michel Rocard, ex premier ministre qui vient au titre d’ambassadeur de France pour les pôles, tel qu’il a été nommé par le président de la république. C’est un évènement exceptionnel, puisque c’est la première fois qu’un haut personnage de l’état français vient poser le pied sur ce vaste continent et à fortiori sur la base de DDU. Il est accompagné de Mr Frénot qui est le directeur de l’IPEV ainsi que d’un aéropage de courtisans.


Mais voilà, la banquise est dans le même état que lors de notre arrivée à R1 et tout le monde est circonspect car de nouveau le bateau est bloqué quasiment au même endroit. On peut commencer à dire que la situation aussi de ce coté là est exceptionnelle : de façon habituelle, la débâcle estivale a chassé la banquise à cette époque de l’année et la mer y a repris ses droits. Il faut commencer par s’attaquer du coté des logisticiens à un premier problème : le débarquement des passagers. Or, le pont d’envol de l’hélicoptère est recouvert de containers, ce dernier étant resté sur DDU ne peut plus s’y poser. Mais la logistique polaire est habituée aux aléas de toutes sortes : il suffit de débarquer les passagers sur la banquise, et l’hélico vient les chercher. Michel Rocard, avec ses 81 ans, se plie avec une joie non dissimulée à cet exercice qui n’est pas si simple, car il faut enjamber le bordé du bateau et descendre le long d’une échelle de corde. On comprendra facilement le soulagement des responsables de l’opération quand celle-ci se termine sans souci dans la joie et la bonne humeur ! Il faut quand même savoir que cette partie de la banquise nous a été interdite depuis plusieurs jours à nous les hivernants, car elle est suspectée d’être dangereuse…

Ce premier soir sur la base est très animé, la base est pleine comme un œuf. Et d’ailleurs, il n’y a plus un seul lit de libre. Certains campagnards d’été doivent ainsi retourner coucher à bord de l’Astrolabe. C’est l’occasion que je saisis de les raccompagner au bateau et de les aider à remonter l’échelle de corde en sens inverse de ce qu’ils ont fait le matin même. C’est une nouvelle vision du bateau que j’ai, à quelques mètres devant moi sur la banquise, qui me ravit.

Le lendemain, 15 janvier, une visite de la base de nos V.I.P. les amène à se rendre dans les différents laboratoires, dont le nôtre, c’est-à-dire la station météorologique où Monsieur le premier ministre semble très intéressé par notre travail. J’ai surtout l’occasion au repas de midi de déjeuner à ses côtés alors qu’il me fait l’honneur de venir se placer à côté de moi pour me poser quelques questions complémentaires. J’ai ainsi découvert un homme affable, encore intellectuellement très vert, très disert et au franc-parler maintenant assez bien connu du grand public et si dérangeant pour la classe politique. Il suffit d’appuyer sur le bouton et il est parti, tout y passe, l’Antarctique bien sûr et son avenir, mais aussi Gorbatchev, Obama, Mitterrand, Dumas, Hawk et bien d’autres. Une rare et passionnante occasion d’apprendre quelques secrets d’alcôve. De ceux-là, je ne vous dirai rien, mais revenons un instant sur le cœur de sa mission. Monsieur Rocard a été nommé ambassadeur de France pour les pôles par le président de la république, Nicolas Sarkozy. Il faut savoir qu’il a été un des initiateurs et l’un des acteurs majeurs du second protocole de Madrid relatif au traité de l’Antarctique (voir le lien ci-contre concernant ce traité). Ce traité est de nature à préserver le grand continent blanc jusqu’en 2048. Consacrée « terre pour la paix et la science », toute autre activité y est interdite. Mais voilà, les enjeux sont colossaux et les appétits féroces; pétrole, minerais de toutes sortes y abondent et nombreuses sont les nations qui se préparent en coulisse à un rush qui serait dévastateur et malheureusement si représentatif de ce qui caractérise notre espèce. Bref, pour l’instant l’espoir est de mise et c’est même, de l’avis de M Rocard, le seul traité international qui fonctionne vraiment actuellement. Encore pour quelques jours avec nous, il doit poursuivre sa tournée sur Concordia, puis sur Vostok la station Russe. De là, il partira sur « Pôle sud » la station américaine du site éponyme, et il terminera par Mac Murdo, la gigantesque station polaire américaine de la mer de Ross aux 800 personnes…et trois restaurants Macdo.

Le soir de ce jour est consacré à la remise de la légion d’honneur à Monsieur Yves Frénot, directeur de l’IPEV, et cela aussi représente un évènement exceptionnel à DDU. Personne ne s’y trompe et nous sommes tous très attentif au discours très enlevé de notre ambassadeur et ex premier ministre très en verve.




Le lendemain, M. Rocard souhaite assister au lâcher de ballon. C’est avec plaisir que je lui propose de le lâcher lui-même, je pense que c’est bien la première fois qu’un premier ministre envoie un ballon météorologique et l’instant est gravé sur les photos.




 Quelques heures plus tard c’est le départ de sa délégation vers Concordia en avion. Et quelques jours plus tard, le 25, après que le bateau ait craché de ses soutes les nombreux matériels à livrer, c’est la majorité des anciens hivernants qui reprend l’Astrolabe après 13 mois d’Antarctique. Moment émouvant pour eux lorsque l’hélico s’élève pour les transporter pour la dernière fois sur le bateau. Pour nous, c’est une période un peu plus tranquille qui commence, avec un peu moins de monde sur la base.