"Manip glacio"



 "Manip glacio » du 7 janvier

« Manip », dans notre jargon, signifie action sur le terrain. Aujourd’hui, il s’agit de glaciologie.                                                                                                                                                   
Essai de la combinaison
C’est une discipline de la géophysique de l’environnement qui est devenue très importante ces dernières années de par les conséquences du réchauffement climatique et qui s’intéresse d’une façon générale à l’eau en phase solide présente dans l’environnement, soit la neige et la glace sous toutes leurs formes. L’Antarctique étant recouverte de la plus importante calotte glaciaire de notre planète fait évidemment l’objet d’une grande attention. C’est ainsi que plusieurs programmes de recherche sont opérés dans notre zone. Celui auquel je vais participer aujourd’hui consiste à procéder à des mesures de flux de glace et de neige sur le continent en bordure côtière pour modéliser les phénomènes d’échange de matière de façon à mieux comprendre ce qui se passe et pouvoir prévoir l’évolution du système.

De nombreuses questions passionnantes sont en suspens dans ce domaine. Il y a en effet d’une part de nombreux glaciers tout autour du continent blanc qui délivrent en mer une quantité considérable d’eau douce sous la forme bien connue d’icebergs. Cet apport a des conséquences variées sur l’océan Antarctique et sa biomasse, mais aussi par exemple sur la circulation thermohaline, le fameux courant océanique qui fait le tour de la planète et qui se termine par le Gulf-stream, régulateur bien connu du climat en Europe. Dans le programme qui nous intéresse et donc à l’intérêt planétaire, il s’agit de pouvoir comparer le flux sortant (les icebergs) et le flux entrant (la neige qui tombe du ciel) sur les glaciers mais aussi ailleurs. Car il y a un autre flux, plus faible en apparence, fourni par la bordure côtière en glace vive à l’océan pendant que cette même bordure reçoit des précipitations. Or cette bordure fait plusieurs milliers de km de circonférence, et l’intégrale de ce flux est supposé important, c’est ce qu’il s’agit d’estimer.

C’est ainsi qu’un réseau de balises a été implanté il y a quelques années, plantées dans la glace et formant un immense H. Il s’agit tous les mois d’aller mesurer plusieurs paramètres autour de chacune d’entre-elles.

Nous partons à quatre pour cette manip en deux équipes de deux pour explorer le H. Départ de DDU en hélico. C’est toujours un régal de voler dans cette zone surtout que les vols sont courts, quatre à cinq minutes nous suffisent pour arriver à la base Prudhomme qui se trouve sur le continent où je pose le pied pour la première fois, c’est assez   émouvant.


Vue sur le continent blanc

 Comme c’est l’heure du repas, nous sommes invités par la poignée de scientifiques qui logent là l’été durant pour leurs expériences.


Barbecue sur Prudhomme
La base Prudhomme peut accueillir environ une dizaine de personnes et c’est aussi de là que part le convoi « raid » destiné à ravitailler la base Concordia en plein cœur du continent.
Organisation de la "Manip"

On se partage, le travail : chaque équipe explorera une moitié du H. Je pars avec Nicolas et il faut d’abord retrouver chaque balise, nous en aurons une quarantaine à traiter de la même façon. Une fois repérée, on mesure la hauteur débordante, c’est-à-dire la hauteur de la balise au-dessus du sol, puis la nature de l’eau solide autour de la balise : glace vive ou neige. S’il s’agit de neige, on mesure son épaisseur avec une méthode rudimentaire : on plante un bâton calibré spécialement pour cela et qui tasse la neige en quatre endroits différents autour de la balise, et on mesure la profondeur du trou. Il fait un temps splendide et c’est un régal. On a bien pris soin de choisir notre jour grâce aux excellentes prévisions météo que nous réalisons.

Ces mesures, réalisées environ une fois par mois, seront injectées dans un tableur qui fournira au fur et à mesure les flux puis servirons à affiner un modèle numérique pour les prévisions des évolutions futures. Sur telle balise, il y a tant de glace ou de neige en plus ou en moins depuis la dernière fois. Parfois, les balises sont sectionnées par les vents violents et on a de la difficulté à les trouver car elles peuvent être enfouies sous la neige ou la glace. Il faudra en replanter une la prochaine fois : il s’agit d’une manip à part entière puisqu’il faut amener sur place un générateur de vapeur pour réaliser un trou dans la glace vive pour planter une nouvelle balise.

Alors, peut-on répondre à la question suivante : l’Antarctique perd-elle de la glace ou en gagne-t-elle ? La réponse est assez complexe d’autant que ces recherches en sont à leurs débuts et que l’on a besoin de plus de profondeur pour les bases de données. De plus, il y a une certaine hétérogénéité sur tout le pourtour du continent qui a été séparé en secteurs. Il se trouve que dans le secteur Terre Adélie, le bilan est positif : plus d’apport que de perte. Mais il y a de nombreux secteurs ou c’est l’inverse et le bilan global serait ainsi négatif (perte de masse de la calotte Antarctique). L’enjeu est considérable pour l’humanité entière puisqu’il s’agit entre autre de pouvoir prévoir de combien et à quelle vitesse le niveau de l’océan mondial va s’élever et qui va bientôt être submergé et quand !

Terre de science, terre de paix et de collaboration entre les hommes de bonne volonté, mais aussi terre aux paysages exceptionnels que nous allons admirer à notre retour vers DDU à pied sur la banquise. Marcher sur l’eau, qui n’a pas rêvé de cela ?